Les pourcentages relatifs / absolus dans les essais cliniques

Une querelle de pourcentages ? :

Les laboratoires pharmaceutiques sont toujours fiers d’annoncer les résultats de leurs médicaments, ainsi tel labo annonce pour son médicament vedette une efficacité de 30 %. Mais 30 % de quoi ?
Il faut tout d’abord savoir que les labos parlent toujours en pourcentage de réduction du risque relatifs (calculés à partir du « risque relatif  »[1]) et non en pourcentages absolus. Je vous livre les définitions des notions de réduction du risque relatif et absolu :

  • La réduction du risque en valeur relative (RRR) est la différence entre le taux d’événements dans le groupe traité (expérimental) et le groupe témoin en proportion du taux d’événements dans le groupe témoin. Il s’agit d’une mesure de l’efficacité relative du traitement dans la population d’étude.
  • La réduction du risque en valeur absolue (ARR) est la différence entre le taux d’événements dans le groupe traité (expérimental) et le groupe témoin. Il s’agit d’une mesure absolue de l’efficacité et elle peut souvent être très inférieure à l’efficacité relative.

Un peu d’humour pour expliquer la différence entre pourcentages relatifs et absolus :

Vous travaillez dans une petite entreprise comprenant en tout et pour tout que deux employés. Plus le patron, bien évidemment.
Un matin, votre patron vous convoque dans son bureau et vous annonce qu’au vu de votre travail remarquable, il vous propose une augmentation de salaire de 80% ! Bien entendu, vous le remerciez chaleureusement et dès la fin de votre journée de travail, vous passez chez le concessionnaire automobile pour commander une nouvelle voiture, réservez une table pour toute la famille au meilleur restaurant du coin et passez chez le fleuriste vous fendre d’un énorme bouquet de fleurs pour votre conjoint.
Sauf que…
Sauf que ce dernier parlait en pourcentage relatif, et donc vous proposait 80 % de plus que l’augmentation accordée à votre collègue. Ce dernier ayant eu une augmentation (extrêmement généreuse..) de 1 €, cela vous fait donc une augmentation de salaire de 1,80 €. Ce qui, rapporté à un salaire moyen (basé sur le salaire médian français) de 1 730 €, vous fait une augmentation minable d’environ 0,10 %. Ça, par contre, c’est le pourcentage absolu…
Donc, pour la même somme, d’un côté 80 % d’augmentation (en % relatif) et de l’autre 0,10 % (en % absolu)…
Quel rapport avec les médicaments, me direz-vous ? J’y viens.

La même démonstration appliquée aux essais cliniques et aux médicaments :

Prenons pour exemple le protocole de test d’un médicament concernant une maladie extrêmement mortelle et qui utilise un échantillonnage de 10 000 patients pour chacun des deux groupes (Placebo et Traitement). Dans le premier groupe (Placebo) nous avons 9 999 décès et dans le deuxième groupe (Traitement) nous en avons 3 333, ce qui nous donne un pourcentage relatif d’efficacité de 66,67% et un pourcentage absolu de 66,66 %.
Prenons maintenant un deuxième protocole de test avec toujours le même échantillonnage, mais pour une maladie beaucoup moins mortelle. Cette fois-ci nous avons 3 décès dans le premier groupe (Placebo), et seulement 1 dans le deuxième groupe (Traitement).
Qu’avons-nous comme efficacité relative cette fois-ci ? Je vous le donne en mille : 66,67 %. Par contre nous avons cette fois-ci un pourcentage d’efficacité absolu de 0,02% !
Les deux protocoles de test ont donc strictement la même efficacité relative, mais nous obtenons un pourcentage d’efficacité absolue de 66,66 % dans le premier cas et de 0,02 % dans le deuxième, ou si vous préférez dans le premier cas il faut traiter 3 personnes pour éviter 1 décès alors que dans le deuxième il faut traiter 10 000 personnes pour éviter 1 seul décès, ou encore dans le premier cas nous traitons 10 000 personnes pour en sauver 6 666 et dans le deuxième cas nous en traitons 10 000 pour en sauver 2…
Quel est donc le médicament le plus efficace ?
Quel le pourcentage (relatif ou absolu) le plus représentatif de l’efficacité du médicament ?
CQFD ! Je crois que la démonstration est évidente…

Pour ceux que les chiffres n’effraient pas, entrons dans des considérations autrement plus techniques… Autrement dit comment est calculé le % relatif ? :

Prenons un essai clinique avec 2 groupes : G0 avec 3 866 participants et G1 avec 3 966 participants.
Le groupe G0 n’a connu que 11 événements alors que le groupe G1 en a connu 18.
La durée du test est de 5,3 ans.
Ce qui nous donne ceci :

Résultats des 2 groupes G0 et G1 :
Groupe G0Groupe G1
Nombre de participantsNombre d’événements% d’événementsNombre de participantsNombre d’événements% d’événements
3866110,28%3966180,45%

Tout d’abord, nous avons le Risque Relatif qui est le nombre d’événements du groupe G1 divisé par le nombre d’événements du groupe G0, soit RR = G1/G0. Ce qui nous donne dans notre exemple (arrondi à 2 chiffres après la virgule…) : RR = 11/18 = 0,61
Ensuite nous pouvons calculer la Réduction du Risque Relatif, autrement dit la réduction relative de la fréquence de l’événement (le risque), soit RRR = (1-RR)×100%. Ce qui donne pour cet exemple (toujours arrondi à 2 chiffres) : RRR = (1-0,61)*100% = 38,89 %
Adaptée à un tableur, nous pourrions aussi écrire la formule suivante: RRR = (G1-G0)/ABS(G1) avec le contenu de la cellule formatée en pourcentage.
Ce qui nous donne donc :

Résultats des 2 groupes G0 et G1 avec le RR et le RRR :
Groupe G0Groupe G1Risque Relatif et Réduction du Risque Relatif
Nombre de participantsNombre d’événements% d’événementsNombre de participantsNombre d’événements% d’événementsRRRRR
3866110,28%3966180,45%0,6138,89%

Dans l’exemple ci-dessus, le traitement du groupe G0 à donc réduit le risque d’événements de 38,89 %.
Bienbienbien…

Et… où est le problème ?

Vous avez peut-être pas remarqué mais le RR et le RRR sont calculés indépendamment du nombre de patients de chaque groupe…
C’est-à-dire qu’un protocole de test avec 100 personnes dans chaque groupe avec 10 événements dans le premier groupe et 12 dans le deuxième groupe se verra crédité d’une même RRR (16,67 %) que le même nombre d’événements dans deux groupes de 1 000 personnes, alors que dans le même temps le pourcentage absolu d’efficacité passe de 2 % à 0,2% !.
D’autre part, le RR et le RRR sont aussi indépendants de la durée du traitement, alors qu’un médicament qui empêche certain nombre d’événements sur 2 ans n’a pas la même efficacité qu’un autre qui empêche le même nombre d’événements sur 10 ou 15 ans !
Ce qui est d’ailleurs aussi le cas du pourcentage absolu d’efficacité…

Et finalement on utilise quoi ?

Au vu de tous ces biais possibles, il semblerait que le seul pourcentage vraiment représentatif de l’efficacité d’un médicament est le pourcentage de Réduction du Risque Absolu (RRA) rapporté sur une année soit : « (Risque absolu groupe B – Risque absolu groupe A) / durée en année », bien que cette méthode de calcul considère une même efficacité du produit pendant toute la durée de traitement.
Comme on peut l’imaginer, c’est nettement moins flatteur que les pourcentages relatifs, mais tellement plus réaliste, quoi qu’en disent les labos…

Pour conclure :

Reprenons le tableau plus haut et ajoutons-y la Réduction du Risque Absolu qui elle, tient compte du nombre de patients dans chaque groupe et se calcule de la manière suivante : (% événements G1)-(% événements G0) = (0,45%)-(0,28%) = 0,17% ainsi que la Réduction du Risque Absolu Annuelle, soit (Réduction du Risque Absolu / durée), cette dernière étant de 5,3 années.
Ce qui nous donne donc :

Résultats des 2 groupes G0 et G1 avec le RR, le RRR et la Réduction du risque absolu :
Groupe G0Groupe G1Risque Relatif et Réduction du Risque RelatifRéduction du Risque Absolu
Nombre de participantsNombre d’événements% d’événementsNombre de participantsNombre d’événements% d’événementsRRRRR% absolu% absolu annuel
3866110,28%3966180,45%0,6138,89%0,17%0,03%

D’un côté 38,89 % d’efficacité relative, de l’autre 0,03 % d’efficacité absolue annuelle. Nettement moins flatteur… puisque ça revient à traiter annuellement 3 130 personnes pour éviter 1 décès !
De plus, c’est un cas concret puisque ces chiffres sont tirés de l’étude « MEGA[2] » sur la Pravastatine et publiée en 2006 .
Il ne faut pas non plus oublier de rappeler les effets secondaires et indésirables pour un nombre non négligeable des patients auxquels on a fait prendre inutilement ce traitement, ce qui ternit d’autant plus cette (très) légère efficacité !