Je sens que je ne vais pas me faire que des amis, sur ce coup-là…
Je m’explique :
Une association de patients spécialisée dans l’hypercholestérolémie familiale (Anhet) vient de tirer la sonnette d’alarme, allant même jusqu’à, semble-t-il, faire appel président de la République et au premier ministre1. D’autres associations ont joint aussi leurs voix à celle de l’Anhet, telle la NSFA2, un député allant même jusqu’à se fendre d’une question écrite au gouvernement3. Bien évidemment, quelques grands professeurs apportent aussi leur soutien4.
Mais quelle est donc cette situation qui scandalise tout ce petit monde ?
C’est extrêmement simple : concernant les inhibiteurs de PCSK9 et contrairement à la plupart des pays européens, la HAS refuse de considérer la seule baisse du LDL-cholestérol comme critère suffisant d’efficacité. Elle demande des preuves directes sur la réduction des infarctus, AVC et décès. Cette position aboutit à une note d’amélioration de service médical rendu (ASMR) V, soit un bénéfice jugé équivalent à celui des traitements existants, et, par conséquent, un prix aligné sur ces derniers.
Une situation jugée économiquement insoutenable par Sanofi (normal, ça touche à leur juteux business…), qui brandit une décision radicale : sortir du remboursement, au risque de créer une fracture thérapeutique où seuls les patients les plus aisés pourraient encore se soigner.
L’AHNET allant jusqu’à crier haut et fort que « la santé de milliers de patients se dégrade, avec à la clef des accidents graves et des décès »
Plutôt surprenante cette prise de position concernant un médicament qui n’a aucune efficacité !
Je cite la décision de la HAS5 :
Prenant en compte :
- la démonstration dans l’étude ODYSSEY OUTCOMES de la supériorité de PRALUENT en association à une statine versus statine seule en termes de réduction du nombre d’événements cardiovasculaires (critère combiné de morbi-mortalité) dans une population sélectionnée,
- la faible quantité d’effet observée sur le critère de jugement principal (différence absolue de 1,6 %) et sur les différents critères de jugement secondaires hiérarchisés,
- l’absence de bénéfice démontré sur la mortalité coronaire (5ᵉ critère secondaire hiérarchisé), et de l’absence de données robustes sur la mortalité cardiovasculaire (6ᵉ critère secondaire hiérarchisé) et la mortalité totale (7ᵉ critère secondaire hiérarchisé) du fait de l’interruption de la procédure hiérarchisée,
- la courte durée de suivi des patients dans l’étude ODYSSEY OUTCOMES (2,8 ans),
La Commission considère que l’ajout de PRALUENT à un traitement hypolipidémiant optimisé n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) dans la prise en charge des patients adultes ayant un antécédent de SCA récent (prévention secondaire), et qui ne sont pas contrôlés (LDL-c = 0,7 g/L) malgré un traitement hypolipidémiant optimisé comprenant au moins une statine à la dose maximale tolérée.
Dont acte !
Je suis souvent critique avec la HAS, mais là : respect.
Refuser de rembourser un médicament au prix fort car n’ayant pas encore réussi à prouver qu’il réduisait les MCV n’est que du bon sens. Effectivement, malgré une baisse conséquente du cholestérol, les études sur les inhibiteurs de PCSK9 que j’ai pu analyser6 n’ont pas montré une efficacité redoutable à réduire les maladies cardiovasculaires, l’essai clinique FOURRIER montrant même une très légère augmentation de la mortalité cardiovasculaire et toutes cause. Certes non significative, mais exactement à l’image des autres résultats…
- Oui, mais les inhibiteurs de PCSK9 font baisser le cholestérol…
- Assurément, mais cela ne se traduit pas par une baisse des MCV ou de la mortalité !
- Oui, mais le cholestérol, c’est la cause des maladies cardiovasculaires. Donc si ce médicament fait baisser le cholestérol, il est obligatoirement efficace à réduire les MCV…
- Mais puisque que l’on vous dit que celui-ci ne les réduit pas !
- Oui, mais le cholestérol est mauvais pour le cœur, donc il faut le faire baisser
- Mais ce médicament ne sert à rien !
- Bah si, il fait baisser le cholestérol…
Bref, on tourne en rond…
Je m’interroge donc sur la finalité des récriminations de tous ces gens.
J’entrevois plusieurs hypothèses :
- Ils sont complètement abrutis. De prime abord, je dirais improbable, mais lorsque l’on constate le niveau de stupidité de la plupart de nos politiques (y compris ceux qui nous gouvernent !), ce n’est pas forcément impossible…
- Ils veulent contribuer à couler la sécu. Ils ne seraient pas les seuls : les grands fonds de pensions américains, sous l’oeil bienveillant de notre gouvernement, lorgnent sur notre système de protection sociale. BlackRock s’est positionné pour reprendre la gestion de notre système de retraites7 et s’implique de plus en plus dans le monde de la santé8. Son PDG a montré une certaine proximité avec Emmanuel Macron9 et le président de BlackRock France a été promu au rang d’officier de la légion d’honneur10.
N’oublions pas, non plus, que BlackRock possède 5,7 % du capital de Sanofi, 8 % de celui d’AstraZeneca, 7 % de celui de GlaxoSmithKline, 7,6 % de Pfizer, 6,2 % de Johnson & Johnson, 6,8 % de Merck/MSD, 6,3 % d’Abbott, 6,4 % de Bristol Meyers Squibb, 5,8 % d’Eli Lilly11… - Leurs liens d’intérêts (financiers ou autres) avec les labos sont tellement importants qu’ils ne sont finalement que de simples stipendiaires aux ordres de ces derniers et ne font que répéter ce que les labos leur dictent. L’ANHET, par exemple, compte parmi ses sponsors Sanofi (Praluent) et AMGEN (Repatha)12. Idem pour la NSFA 13. Ce qui pourrait expliquer leur aveuglement et leur acharnement à prôner un médicament censé réduire les MCV et la mortalité, mais qui, hélas, ne produit absolument pas les effets escomptés…
Quant à certains professeurs qui soutiennent cette démarche, leurs liens financiers avec les labos sont tellement conséquents que j’ai quand même beaucoup de mal à concevoir qu’ils puissent garder leur indépendance14… Par exemple, le professeur cité dans l’article de Medscape reçoit environ 60 000 € par an de la part des labos, sans compter les prestations de service pour lesquelles il n’est pas obligé d’en indiquer le montant.
Je vous prie de croire que si je touchais cette somme de la part des labos, je serais certainement moins virulent vis-à-vis des statines…
Quelles que soient les motivations de ces individus, je ne peux qu’être entièrement d’accord avec la position de la HAS. Il faut arrêter de rembourser plein pot des médicaments qui ne servent strictement à rien ou qui, tout en étant commercialisé à des prix prohibitifs largement supérieurs à ceux qu’ils sont censés remplacer, ne sont même pas plus efficaces.
Le pire étant les nouveaux médicaments anti-cancéreux dont les prix atteignent des sommets15 et qui, pour beaucoup, n’apporte rien de concret, si ce n’est une augmentation des effets secondaires16 et 17.
Mais il ne faut pas se leurrer, c’est le pot de terre contre le pot de fer.
Avec les labos qui murmurent à l’oreille de nos gouvernants (mouais, enfin à ce point-là, ce ne sont plus des murmures, ce sont des hurlements !) et qui graissent la patte de tous ceux qui possèdent un tant soit peu d’autorité dans le monde de la médecine (grands professeurs, associations de patients, presse médicale, députés et ministres aussi… parfois…), j’ai bien peur que, sous la pression des lobbys, la HAS soit obligée de revoir sa position.
J’en tiens pour preuve le fait que notre premier ministre, entre autres inepties et afin de faire des économies18, projette de baisser le remboursement de prestations médicales indispensables plutôt qu’appliquer le déremboursement des médicaments cher, inutiles et dangereux.
Il semblerait que l’intelligence, le bon sens et le pragmatisme ne fassent pas partie des prérequis indispensables pour être premier ministre !
Par contre, la vénalité et la servilité, oui !
PS : Sinon, à tout hasard, je tiens à ajouter (nous vivons des temps troublés…) que tout va bien, que je ne suis pas dépressif et que je n’ai absolument pas prévu de me suicider19… 😉
1 Medscape : Pénurie d’anti-PCSK9 : une association de patients en appelle au président et au premier ministre
2 NSFA : Nous partageons l’inquiétude de l’association des patients Anhet.f
3 Assemblée nationale : Question écrite n° 7615 : Accord sur prise en charge médicaments anti-PCSK9
4 Le point : Praluent et Repatha, deux médicaments vitaux qui risquent de ne plus être commercialisés en France
5 HAS : PRALUENT (alirocumab)
6 Maladies cardiovasculaires, cholestérol et statines : Essais cliniques des inhibiteurs de PCSK9
7 Basta ! : BlackRock et les retraites : pourquoi et comment le gestionnaire d’actifs joue un rôle dans la réforme
8 L’Humanité : Une « financiarisation de tous les dangers » : enquête sur l’emprise des fonds d’investissement sur les cabinets de radiologie
9 Nexus : Quels sont les liens entre BlackRock et Emmanuel Macron ?
10 Le Figaro : Légion d’honneur : la distinction accordée au patron de BlackRock France critiquée
11 Basta ! : 1000 milliards d’euros de profits en vingt ans : comment les labos sont devenus des monstres financiers
12 ANHET : Avec le soutien institutionnel de :
13 NSFA : Sponsors
14 La base « Transparence Santé » est entièrement à votre disposition. Bon, je reconnais que l’accès à celle-ci a été codé avec les pieds par un stagiaire sous-payé, mais au prix d’un peu de patience, on arrive à savoir combien ces éminents professeurs ont été payés par les labos pour porter la bonne parole. Enfin, surtout celle des labos…
15 La ligue contre le cancer : Les nouveaux traitements contre le cancer sont chers. Trop chers
16 Allô Docteur : Nouveaux médicaments anticancéreux : les preuves de leur efficacité encore attendues
17 Maladies cardiovasculaires, cholestérol et statines : Vous suspectiez la FDA laxiste avec les labos ? C’est pire que ce que vous imaginiez(2)…
18 France Info : Année blanche, jours fériés supprimés, contribution de solidarité… Ce que propose François Bayrou pour économiser 44 milliards d’euros dans le budget 2026
19 Le Monde moderne : Disparition d’Olivier Marleix, le député qui dénonçait les liquidateurs