La grande interrogation des conflits d’intérêts

Quels rapports entre les conflits d’intérêts et les problèmes cardiovasculaires en général, et les statines en particulier ?

Eh bien, c’est ce que nous allons tenter d’expliquer brièvement sur cette page, et vous donner un aperçu des moyens dont use (et abuse) le monde de l’industrie pharmaceutique pour imposer la prescription et la consommation de ses produits !

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêt ?

Une amorce de réponse ci-dessous :
« Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s’acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme ».
Les conflits d’intérêts sont présents à tous les niveaux de la société et dans touts les branches de l’économie. Pour simplifier, nous ne parleront ici uniquement des conflits d’intérêts dans le monde de la médecine. En préambule, je vous renvoie à l’excellente définition de Wikipédia sur les Conflits d’intérêts en médecine.

Mais, dans les faits, comment se traduisent les conflits d’intérêts ?

Eh bien, cela commence bien souvent par les visiteurs médicaux qui sont chargés par les labos d’informer les médecins de promouvoir leurs produits . Il faut savoir que leur fonction est de plus en plus controversée et très souvent accusée de fournir des indications biaisées et partiales.[1]
La loi Kouchner du 4 mars 2002[2] a tenté de réguler quelque peu ces pratiques : les cadeaux offerts par les labos aux médecins sont officiellement interdits, mais ce texte n’a aucunement endigué les dérives des labos, que rien n’empêche de faire parvenir des invitations tout frais payés (y compris pour le conjoint) à des congrès situés bien évidemment dans des endroits éloignés et paradisiaques[3]
L’expertise médicale, ou plutôt son indépendance, a aussi de nombreuses fois été remise en cause ces dernières années, comme lors de la gestion de la crise de la grippe A/H1N1[4] dont le coût global de la campagne de vaccination en France est estimé à 2,2 milliards d’euros (vaccins et antivirus, communications renforcées, charges des salles réquisitionnées, coût du personnel…) alors que seulement 8 % des Français se sont fait vacciner[5].
N’occultons pas non plus l’intense lobbying exercé par les labos à tous les niveaux : médecins, pharmaciens, hôpitaux, l’ex l’AFSSAPS remplacée aujourd’hui par l’ANSM[6] [7]. N’oublions pas non plus les instances gouvernementales, que soit les députés[8], les ministres de la santé successifs[9] et ce jusqu’au plus haut niveau[10] ainsi que bien évidemment le parlement européen[11] qui sont, pour la plupart et bien qu’ils s’en défendent, que des porte-paroles grassement rémunérées par l’industrie pharmaceutique !
Si vous voulez un aperçu des méthodes des labos pharmaceutiques, je vous recommande tout particulièrement le reportage de France2 « Laboratoires pharmaceutiques : un lobby en pleine santé »[12] [13]. Édifiant et proprement scandaleux! Faite une recherche sur YouTube, vous le trouverez certainement…

Mais… que fait la justice ?

À la suite du scandale du Médiator, Xavier Bertrand alors ministre de la santé s’est vu contraint sous la pression médiatico-électorale de forcer les firmes pharmaceutiques (proches historiquement du pouvoir) à plus de transparence. Les labos devront déclarer publiquement leurs conflits d’intérêts vis-à-vis des médecins, des étudiants, des associations de patients…
La « Loi Bertrand » a été publiée au Journal Officiel le 29 décembre 2011. Mais sans décret d’application, une telle loi ne sert à rien d’autre qu’à afficher les louables intentions démagogiques de l’ex-ministre. Or curieusement, Xavier Bertrand a volontairement bloqué la parution du décret, prétextant à chaque fois des changements mineurs, pour laisser le soin au gouvernement suivant de se fâcher avec Big Pharma puisque le décret a été voté le mai 2013[14] par la ministre de la santé Marisol Touraine.
Hélas, quelques années plus tard, le lobbying de l’industrie pharmaceutique pour limiter l’impact de cette réforme a été très efficace : suite à une circulaire signée par Marisol Touraine, les contrats (liens les plus lucratifs pour les praticiens de santé) sont rendus publics mais sans mention des montants… Un exemple : un spécialiste invité par un labo à intervenir contre rémunération lors d’un symposium devra faire apparaître le montant des tickets de métro remboursés par le labo, mais pas le montant de sa rémunération pour sa prestation…[15]
De plus le site sur lequel seront répertoriées ces données ne devra pas être indexé par les moteurs de recherche (donc non accessible au grand public), les données ne seront disponibles que pendant 5 ans et celles-ci ne pourront faire l’objet d’aucun traitement automatique informatisé.
Ce qui a permis à l’industrie pharmaceutique d’offrir (entre janvier 2012 et juin 2014) la somme de 245 millions d’euros au corps médical[16] ! Cette somme représentant exclusivement le montant des cadeaux et excluant bien évidemment les différents contrats rémunérés (soit 235 455 contrats durant cette période et dont les montant ne sont pas précisés…)

Et les hautes instances cardiologiques ?

Là aussi, tout est loin d’être clair…
Quelques exemples :

  • Prenons le cas de la Société Française de Cardiologie, fin 2013 sur les 43 membres du conseil d’administration 2012-2016, 31 déclaraient des liens avec un ou plusieurs organismes pharmaceutiques (dont plusieurs commercialisent des statines) et 4 personnes n’apparaissaient tout simplement pas sur la liste. Je n’ai pas examiné les autres personnes, mais pour les curieux voici le lien : SFC : Déclaration de Relations Professionnelles 2013
  • D’autre part, il est des situations qui m’interpellent, comme le financement de cette même SFC par les laboratoires Servier et ce malgré l’affaire du tristement célèbre Médiator[17] [18].
  • LA SFC le reconnaît d’ailleurs elle-même en parlant des relations de partenariat que cette société peut être amenée à développer avec l’industrie du médicament, du matériel et des dispositifs médicaux. tout en évitant soigneusement de citer pour quelles sommes ces mêmes industries la finance… Mais il n’est qu’à voir la liste des partenaires du congrès de la SFC (12-15 janvier 2011)[19] pour en avoir une petite idée !
  • Évoquons aussi le cas de la FFC qui est loin d’être un modèle de transparence[20]
  • Pour ce qui est de l’European Society of Cardiologie, la liste des « sponsors » de cette institution ferait pâlir plus d’un stipendiaire[21], y compris lors de ses congrès[22]. On peut aussi noter que l’on y trouve le laboratoire Servier, la sinistre réputation que traine ce dernier[23] n’ayant pas l’air de déranger qui que ce soit…
  • Quant à l’European Atherosclerosis Society, c’est extrêmement nébuleux. Je n’ai pas réussi à trouver la liste de leurs « sponsors », ce qui ne vaut aucunement dire qu’il n’y en a pas, mais juste que cette institution ne souhaite pas faire étalage de ses liens avec l’industrie pharmaceutique. Tout juste ai-je pu trouver que leur dernier congrès était sponsorisé par… l’European Society of Cardiologie plus quelques labos[24].

Je n’ai pas eu le courage d’éplucher d’autres organismes (notamment aux USA…), par contre je vous engage vivement à lire les articles suivants : le premier qui égratigne une poignée d’associations médicales Quand Big Pharma infiltre les Associations médicales : un cas d’école français et celui-ci (tiré de l’excellent site Formindep) qui démontre les relations entre les labos pharmaceutiques, les associations médicales et leurs publications : Les dernières recommandations européennes, américaines et françaises sur la prise en charge des dyslipidémies sont farcies d’intérêts et fortement biaisées.

Les liens d’intérêts des grands professeurs :

Une autre point important est le cas de ces spécialistes grassement rémunérés par les industries pharmaceutiques afin de promouvoir leurs produits et qui se vantent d’une totale impartialité. La question que l’on peu se poser est : peut-on être à la foi juge et partie ?
Effectivement, lorsque l’on constate combien sont rémunérés certains professeurs par les industries pharmaceutiques (en plus de leurs rémunérations pour divers postes dans les hôpitaux, cliniques ou cabinets privés), on peut légitimement se poser la question de savoir à quel point leurs décisions ne sont pas orientées par les sommes conséquentes que leur versent les labos…

A titre d’exemple, voici les rémunérations supplémentaires fournies par les labos à quelques professeurs, parmi les plus virulents défenseurs des statines. Les données sont extraites de la basse Transparence Publique Santé et couvrent la période 2014 – 2018 (La liste est non-exhaustive et je peux rajouter toute personne qui se sentirait frustrée de ne pas figurer dans celle-ci…) :

  • Pr Nicolas Danchin : 524 déclarations pour un montant total de 295 627 € plus 140 contrats sans montant déclaré
  • Pr Atul Pathak : 822 déclarations pour un montant total de 288 749 € plus 175 contrats sans montant déclaré
  • Pr Philippe Gabriel Steg : 499 déclarations pour un montant total de 407 791 € plus 118 contrats sans montant déclaré

Autrement dit, un spécialiste peut-il être rémunéré (peut-importe la manière ou le montant) par un labo pharmaceutique et s’élever contre les produits dont il est censé assurer la promotion ? Si le cas se produit un jour, je ne suis pas persuadé que le labo poursuive malgré tout sa collaboration avec cette personne !
Le lobbying des labos pharmaceutiques a encore de beaux jours devant lui[25] et hélas, vu le montant des sommes en jeux (et le peu de cas que font les labos de la vie des patients), tout ceci n’est pas prêt de s’arrêter !

Quant aux facultés de médecines :

Le constat est tout aussi navrant : Le Formindep a établi un classement pour 2018 des facultés de médecines françaises[26] concernant leur indépendance vis-à-vis des labos pharmaceutiques, leur transparence vis-à-vis des conflits d’intérêts ainsi que leur politique de gestion de ceux-ci.
Pour un classement établis sur 36 points, on ne peut que constater que celle-ci sont très loin d’être un exemple, la moyenne nationale s’établissant à 7 sur 36, soit une moyenne de 4/20.
Autant dire que le lobbying des labos pharmaceutiques au sein des facultés de médecines continue de battre son plein, conditionnant en cela les habitudes des futurs médecins et spécialistes…

Quelques chiffres édifiants :

  • 98% de la presse médicale est financée par l’industrie pharmaceutique.[27]
  • 23 000 euros (par an et par généraliste) sont dépensés par les laboratoires pharmaceutiques au titre de la formation et de l’information des médecins généralistes.[28]
  • En 2007, l’AFSSAPS était financée à plus de 80% par les laboratoires pharmaceutiques.[29]
  • Sur 675 personnes siégeant à l’AFSSAPS, près de 415 personnes (donc 62,4 %) déclarent avoir des intérêts dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique ou autre.[30]
  • En 2011, les industriels de santé ont déclaré avoir versé 5,8 millions d’euros à 356 associations de patients en France.[31]
  • En moyenne, le taux de profit déclaré des industries pharmaceutiques s’élève à 30% du chiffre d’affaires, elle peut atteindre 80% de marge nette pour les médicaments vedettes (blockbusters).[32]
  • 98% de la formation médicale continue et obligatoire des médecins est financée par les firmes pharmaceutiques.[33]

Tout ceci pour montrer les industries pharmaceutiques, contrairement à ce qu’elles veulent nous faire croire, ne sont que peu concernées par la santé des patients. Elles sont plus motivées par leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires, et pour ce faire emploient d’énormes moyens pour imposer leurs produits, quel qu’en soit l’inefficacité (voir statines) ou la dangerosité, voire même la mortalité de ceux-ci (voir : La guerre des labos contre votre santé) !

Vous voulez en savoir plus ?

Je vous recommande chaudement la lecture des quelques pages ci-dessous, écrites par des médecins :

Il y a bien évidemment beaucoup d’autre articles (il vous suffit de taper « conflits d’intérêts en médecine » dans votre moteur de recherche préféré pour avoir une idée de l’ampleur du problème…), mais je trouve ceux-ci particulièrement didactiques et instructifs !

Et concernant ce site ?

Je ne reçois aucun financement (aucun salaire ou dédommagement sous quelque forme que ce soit, aucun revenu publicitaire) pour maintenir et mettre à jour ce site.
Celui-ci est hébergé à mes frais et le fait de cliquer sur les liens proposés ne me génère strictement aucun revenu quel qu’il soit.
Je tenais à le préciser pour éviter tout malentendu…


  1. Liberation : Les visiteurs médicaux, une profession dans le collimateur
  2. Legifrance : Code de la santé publique – Article L4113-6
  3. Liberation : La DGCCRF s’alarme des fraudes des labos pharmaceutiques
  4. Le Point : GRIPPE A – Ce rapport qui accable les autorités françaises
  5. Le Monde : Une grippe à 2 milliards d’euros
  6. Agoravox : ANSM – Le poisson pourrit toujours
  7. Terraeco : Deux ans après le Médiator, ces experts toujours en conflit d’intérêts
  8. Agoravox : Ces élus qui se font subventionner par les firmes pharmaceutiques …
  9. Alternative santé : Michèle Rivasi en guerre contre les conflits d’intérêt dans la santé
  10. Le Monde : Les liens entre Nicolas Sarkozy et les laboratoires Servier
  11. L’Express : Le lobby des labos
  12. France2 : Les infiltrés : Laboratoires pharmaceutiques, un lobby en pleine santé
  13. Alter Info : Laboratoires pharmaceutiques : un lobby en pleine santé
  14. Legifrance : Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013
  15. PC INpact : Cadeaux des labos : les nombreux nuages du décret Sunshine
  16. Regards citoyens : Sunshine : ces 245 millions d’euros que les laboratoires pharmaceutiques veulent cacher
  17. Liberation : Servier sait soigner les cardiologues
  18. Sud Ouest : Mediator : Servier sponsorise toujours les cardiologues
  19. Grange blanche : A l’insu de son plein gré
  20. La Tribune : Malgré l’affaire Mediator, Servier reste (trop) proche des cardiologues
  21. ESC : Why Sponsor the EORP?
  22. ESC : Exhibition and Industry – ESC Congress 2019 together with World Congress of Cardiology
  23. Le Monde : Mediator : Servier demande à l’Etat le remboursement d’indemnités versées aux victimes
  24. EAS : Sponsors of the 42nd Annual Scientific Meeting of the ELC
  25. L’Humanité : Lobbying À la santé des labos
  26. Formindep : Classement des facultés françaises en matière d’indépendance
  27. Pharmacritique : La presse médicale: organe publicitaire de l’industrie pharmaceutique
  28. Pharmacritique : Presse médicale, moyen d’influence et de publicité pharmaceutique
  29. violencealhopital : L’AFSSAPS et l’industrie pharmaceutique, ce qu’on ne vous dit pas
  30. Wikipedia : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – Controverse sur les conflits d’intérêts
  31. HAS : Déclarations des aides versées aux associations par les industriels de santé : la HAS publie les chiffres 2011
  32. Ouvertures : Les profits « hors norme » de l´industrie pharmaceutique font débat
  33. Liberation : Les visiteurs médicaux, une profession dans le collimateur

Dernière modification : 2020-05-20