Voici donc la suite de l’enquête en deux parties publiées sur le site The Lever1.
Cette fois-ci, les auteurs épinglent l’Elmiron, un médicament contre une affection de la vessie appelée cystite interstitielle. Hélas, celui-ci provoque des pertes de vue ou de la cécité chez un nombre important de patients, ainsi que des hospitalisations pour colite sévère. De nombreux décès liés à ce médicament ont aussi été signalés à la Food and Drug Administration (FDA).
Alors qu’il n’existe strictement aucune preuve tangible de l’efficacité d’Elmiron.
Mais les autorités de la FDA ont autorisé la commercialisation d’Elmiron à la condition que l’entreprise réalise une deuxième étude pour déterminer si cela fonctionnait. Il a fallu 18 années aux labos pour produire cette étude qui s’est avéré être un échec retentissant. Les patients qui ont pris Elmiron n’ont pas eu de meilleurs résultats que ceux à qui on a donné un placebo !
Hélas, l’Elmiron n’est qu’un des nombreux médicaments approuvés par la FDA au cours des dernières décennies sur la base de preuves fragiles, voire inexistantes. Les laboratoires pharmaceutiques ont été autorisés à commercialiser des centaines de médicaments sur ordonnance auprès de médecins et à les vendre à des patients, malgré des preuves manifestement insuffisantes de leur efficacité et, dans de nombreux cas, malgré des signes évidents de risque de dommages graves, souvent irréparables.
C’est encore pire en ce qui concerne les médicaments anti-cancéreux.
L’Avastin contre le cancer du sein a été approuvé basé sur un résultat de substitution appelé « survie sans progression » ; ce qui ne prend pas réellement en compte la survie du patient, mais mesure la durée pendant laquelle un médicament anticancéreux maintient une tumeur sous contrôle. Mais ce n’est pas parce qu’une tumeur ne grossit pas, voire rétrécit, que le patient vivra plus longtemps ou bénéficiera d’une meilleure qualité de vie.
En 2010, les ventes mondiales d’Avastin ont atteint 6,8 milliards de dollars. L’approbation de ce médicament a été effectuée sous la condition que le fabricant, Genentech, mène une autre étude pour déterminer l’efficacité réelle du médicament. Deux ans plus tard, l’entreprise a publié deux études qui suggéraient le contraire : le médicament n’a pas aidé les gens à vivre plus longtemps.
Au total, la société a mené cinq essais cliniques, mais aucun n’a démontré que l’Avastin permettait aux patientes atteintes d’un cancer du sein de vivre plus longtemps ou avec moins d’invalidité. Les nouvelles études ont également documenté des effets secondaires très graves du médicament, notamment des caillots sanguins, des perforations intestinales, des accidents vasculaires cérébraux, des problèmes cardiaques et des dysfonctionnements rénaux.
Ce qui n’empêche nullement l’Avastin d’être toujours commercialisée et largement prescrite (y compris en France…).
Aujourd’hui, la survie sans progression, ainsi qu’une demi-douzaine d’autres critères de substitution, est devenue la norme pour l’approbation des médicaments anticancéreux. Cette enquête a révélé que 81 % des 123 médicaments anticancéreux approuvés entre 2013 et 2022 étaient basés sur des études qui ne suivaient pas la survie globale, mais se basaient plutôt sur la survie sans progression ou un autre critère de substitution.
Entre janvier 2013 et le 31 décembre 2022, la FDA a approuvé 429 médicaments, la plupart autorisés sur la base de preuves insuffisantes de leur efficacité, selon une base de données gouvernementales créée pour cette enquête. L’analyse de ces données a permis de prouver que la FDA a décidé de maintenir sur le marché des dizaines de traitements, comme Elmiron, alors même que les études ultérieures n’ont pas démontré leur efficacité.
Cette enquête a aussi révélé que, de 2013 à 2022 :
- 73 % des médicaments approuvés par la FDA ne répondent pas aux quatre normes fondamentales de l’agence requises pour démontrer qu’ils fonctionnent comme prévu.
- Plus de la moitié des approbations de médicaments étaient fondées sur des données préliminaires plutôt que sur des preuves solides indiquant que les patients présentaient moins de symptômes, une amélioration de leurs fonctions ou vivaient plus longtemps.
- 55 des 429 médicaments approuvés ne répondaient qu’à un seul des quatre critères nécessaires pour démontrer qu’un médicament est sûr et efficace.
- 39 médicaments n’en répondaient à aucune.
De nombreux problèmes liés à l’approbation des médicaments découverts dans ce rapport sont particulièrement préoccupantes en ce qui concerne les traitements contre le cancer :
- Seulement 2,4 % des 123 médicaments contre le cancer approuvés de 2013 à 2022 répondaient aux quatre critères scientifiques de la FDA. Vingt-neuf médicaments, soit 23 %, n’en répondaient à aucun.
- 81 % des médicaments contre le cancer ont été approuvés sur la base de preuves préliminaires plutôt que des données démontrant une espérance de vie plus longue pour les patients. Les études sur les médicaments anticancéreux approuvés sur la base de preuves préliminaires n’ont pas démontré qu’ils amélioraient la survie dans la grande majorité des cas.
Ces statistiques font suite à des milliards de dollars et à des années de lobbying de la part de l’industrie pharmaceutique et des groupes de défense des patients qui font pression sur le Congrès pour qu’il assouplisse les règles scientifiques de la FDA.
Pourtant, rien qu’aux États-Unis, on estime que 128 000 personnes décèdent chaque année suite aux effets secondaires de médicaments sur ordonnance pourtant correctement prescrits.
Heureusement qu’en Europe et plus particulièrement en France, nous avons des institutions irréprochables.
Nous avons pu le constater avec les très obscurs contrats des vaccins contre la Covid-19 négociés directement entre le PDG de Pfizer et cette chère Ursula2, ou encore avec cette enquête du Formindep3 qui révèle le chantage effectué par les labos pharmaceutiques auprès de cette dernière : soit l’EMA cède aux exigences des labos, c’est-à-dire revoir la politique de prix des médicaments pour mieux « récompenser l’innovation », accélérer les procédures d’autorisation des essais cliniques (autrement dit, les bâcler afin de mettre sur le marché des produits par finis et à peine testés…), alléger la charge réglementaire, y compris sur les normes environnementales, notamment la directive sur le traitement des eaux usées ; soit ceux-ci envoient leurs capitaux vers des cieux plus favorables.
Je ne me fais aucune illusion sur la réponse de l’EMA…
Quand en France, à lire ne serait-ce que les articles du Formindep4 relevant les manquements de notre HAS, on ne peut que constater que, niveau lien d’intérêts avec les labos, celle-ci n’est pas en reste…
1 The Lever : FDA Approved — And Ineffective
2 La Tribune : Pfizergate : un revers cinglant pour Ursula von der Leyen
3 Formindep : L’industrie pharmaceutique fait pression sur l’Europe : une menace pour la santé publique ?
4 Formindep : HAS