C’est la conclusion d’une enquête de deux ans menée par les journalistes Jeanne Lenzer et Shannon Brownlee, spécialisées dans la presse médicale. Celle-ci, en deux parties, a été publié sur le site The Lever et est accessible gratuitement après inscription.
La première partie1 prend plus particulièrement pour exemple certains médicaments censés lutter contre la maladie d’Alzheimer. Il s’agit du Leqembi (Biogen et Eisai) et du Kisunla (Eli Lilly), tous deux présentant des profils très proches.
Ces nouveaux médicaments contre la maladie d’Alzheimer sont basés sur une théorie développée il y a plus de 30 ans, et selon laquelle la maladie serait principalement causée par l’accumulation dans le cerveau d’une protéine appelée bêta-amyloïde. Bien que des dépôts amyloïdes soient présents dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, certains patients atteints d’amyloïde ne développent jamais de démence, et personne n’a démontré de manière définitive que cette protéine soit la cause de la maladie. De nombreux experts ont mis en évidence depuis des années des failles dans la soi-disant « hypothèse amyloïde ». Récemment, les doutes sur cette théorie se sont intensifiés lorsqu’une étude détaillée dans la revue Science en 2022 a révélé que des images techniques utilisées dans une étude clé soutenant l’hypothèse avaient été falsifiées (toute similitude avec la fumeuse théorie du mauvais cholestérol qui tue ne pourrait être que coïncidence…).
Le prédécesseur du Lequembi, l’Aduhelm, lancé en 2021, a été retiré du marché pour des raisons commerciales, d’après le fabricant de ce médicament.
Hélas, lorsque l’on lit le document émis par le très officiel « Committees on Oversight and Reform, and Energy and Commerce », ce n’est pas du tout la même musique2.
Ça commence très fort ! Je cite : La Food and Drug Administration (FDA) a accordé une autorisation accélérée pour l’Aduhelm, estimant que ce médicament réduit la formation de plaques bêtaamyloïdes dans le cerveau. Cette décision de la FDA est intervenue malgré l’annulation par Biogen des essais cliniques de l’Aduhelm en mars 2019, suite à un rapport indépendant indiquant que le médicament était peu susceptible de ralentir efficacement les troubles cognitifs et fonctionnels et que des études cliniques supplémentaires seraient vaines
.
Ensuite : Malgré l’absence de recommandation du comité consultatif du PCNS et les préoccupations internes soulevées par les experts du Bureau de Biostatistique (OB) du Centre d’évaluation et de recherche des médicaments (CDER) de la FDA concernant l’incohérence des données cliniques du médicament, l’agence a accordé une approbation accélérée à l’Aduhelm le 7 juin 2021
.
Le document entier est un gigantesque réquisitoire reprenant toutes les malversations concernant la mise sur le marché de ce produit : lobbying intense de Biogen, accord de la direction de la FDA malgré le refus du comité consultatif, mensonges sur l’efficacité, masquage des effets secondaires importants, falsification des études, prix prohibitif, etc.
En somme, le labo a clairement dicté sa loi à la FDA !
Pour ce qui est du Leqembi, ce n’est guère mieux : en moyenne, 22 % des patients prenant du Leqembi ont développé une hémorragie cérébrale ou un gonflement du cerveau et de nombreux patients sont restés handicapés après avoir été traités par ce médicament.
Concernant le comité d’approbation, trois des quatre médecins conseillers de la FDA ayant voté en faveur du Leqembi avaient des liens financiers avec les fabricants ou d’autres laboratoires pharmaceutiques. Un quatrième conseiller était le PDG d’un consortium de développement de médicaments, dont Eisai, Biogen et Eli Lilly étaient membres.
Ben oui, c’est quand même plus facile lorsque les personnes qui décident de l’AMM d’un médicament sont payés par le labo qui produit ce même médicament !
Quant au Kisunla, les diverses études ont démontrées que les patients ont subi des lésions cérébrales à un taux encore plus élevé qu’avec le Leqembi.
D’ailleurs, lorsque le médicament a été soumis à l’examen initial, le comité en charge a refusé son d’approbation, soulignant un « déséquilibre dans les décès » ainsi que des données manquantes, le labo ayant perdu le suivi de près d’un quart des patients impliqués dans une étude clé.
La FDA a quand même approuvé le Kisunla à condition qu’Eli Lilly réalise une étude de sécurité après la mise sur le marché du médicament, le rapport final sur Kisunla n’est pas attendu avant… février 2037.
Autrement dit, on autorise la mise sur le marché d’un produit dont on sait qu’il a des effets secondaires très importants, voire mortels. Et peut-être qu’au bout de plus d’une dizaine d’années, on comptera les morts. Ou pas…
Concernant les médicaments contre la maladie d’ d’Alzheimer, les fabricants de ces médicaments n’affirment pas qu’ils améliorent les fonctions cognitives, mais seulement qu’ils ralentissent le déclin de la mémoire. Mais même en utilisant ce critère, les données suggèrent que ces médicaments ont un effet très limité.
Il est utilisé un test largement accepté, appelé CDR-SB (abréviation de « Clinical Dementia Rating – Sum of Boxes »), pour mesurer l’évolution des capacités cognitives des patients. Les scores varient de 0 à 18 points. Il est couramment admis que les scores des patients au CDR-SB devaient évoluer d’au moins un point pour les personnes présentant un trouble cognitif léger et de 1,6 point pour celles atteintes d’une forme précoce de la maladie d’Alzheimer.
Après un an et demi de traitement, la différence entre les patients ayant reçu Leqembi et ceux ayant reçu un placebo était de 0,45 point.
Cela n’a pas empêché les fabricants de médicaments de vanter des bénéfices apparemment considérables. Dans un communiqué de presse, Eisai affirme que Leqembi ralentit la progression de la démence de 27 pour cent. Eli Lilly affirme que Kisunla ralentit le déclin jusqu’à 35 pour cent.
Ah, la magie des pourcentages relatifs !
Quelques déclarations :
- Reshma Ramachandran, codirectrice de la Collaboration de Yale pour la rigueur réglementaire, l’intégrité et la transparence et experte en analyse d’essais cliniques, a expliqué que Leqembi et Kisunla
présentent de sérieux risques pour la sécurité et, au mieux, des bénéfices incertains
etdonnent de faux espoirs aux patients et à leurs médecins
. - Rudolph Castellani, professeur de neuropathologie à l’université Northwestern, a confié craindre que si ces médicaments sont largement prescrits, leurs effets toxiques pourraient se transformer en
catastrophe de santé publique
. - George Perry, professeur de neurosciences à l’Université du Texas à San Antonio et rédacteur en chef du Journal of Alzheimer’s Disease, a déclaré
Tous les nouveaux médicaments contre la maladie d’Alzheimer (Aduhelm, Leqembi et Kisunla) sont essentiellement les mêmes, ils fonctionnent selon le même mécanisme, présentent la même efficacité insignifiante et les mêmes effets néfastes graves
.
Et qu’en est-il chez nous ?
L’Agence européenne des médicaments a estimé que ce faible bénéfice ne compensait pas le risque d’effets indésirables graves
. Eisai a fait appel de cette décision et l’EMA s’est pitoyablement laissé acheter puisqu’elle a accordé l’approbation du Leqembi en novembre 2024, à condition que les médecins ne le prescrivent pas aux patients à risque élevé. Pour le Kisunla, étant encore récent, son autorisation est toujours à l’étude en Europe.
Concernant la France, je n’ai trouvé aucune trace d’une quelconque AMM pour ces deux produits.
Pour l’instant…
Dernier point : il faut savoir que les fabricants de ces médicaments visent désormais des marchés encore plus vastes en étendant le traitement aux personnes à ceux qui n’ont pas de problèmes de mémoire, mais pourrait présenter un risque de développer la maladie d’Alzheimer.
Le prix affiché de Leqembi est de 26 500 $ et celui de Kisunla est de 32 000 $. Ajoutez à cela aussi le prix des analyses sanguines nécessaires, des ponctions lombaires et des examens d’imagerie. Le prix total par patient aux États-Unis pour Leqembi est estimé à 109 000 $ par patient et par an.
Un cabinet d’analyse commerciale à prévu que les ventes mondiales de Leqembi et de Kisunla totaliseront 5,5 milliards de dollars en 2030.
Tout ça pour un produit que ne sert à rien et provoque de graves effets secondaires !
Mais bon, il faut bien que le business se fasse et on ne va pas chipoter parce que quelques personnes bien placées se sont laissé corrompre afin que les actionnaires des labos soient satisfaits…
1 The Lever : The Deadly Secrets Behind “Breakthrough” Alzheimer’s Drugs
2 Committee on Oversight and Reform and Committee on Energy and Commerce : The High Price of Aduhelm’s Approval : An Investigation into FDA’s Atypical Review Process and Biogen’s Aggressive Launch Plans